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Fade to black - Abidar Romaissaa

 


TRIGGER WARNING : suicide, self-harm



Écrire.

Écrire parce que tu n’as pas le choix. Parce que sinon les mots jaillissent seuls de tes orbites, de tes narines et de ton nombril. Des mots tellement nombreux qu’ils s’agglutinent entre eux jusqu’à former une grosse masse lourde et visqueuse qui s’accroche à toi comme une moule. Une sangsue encéphalique qui veut aspirer ta peau, ton cœur et tes méninges. 

Tu as du mal à respirer. 

La masse qui tombe sur ton thorax l’écrase, enserre tes tripes et te mange les côtes. 

Tu te regardes dans la théière.                             Tu es effacée. 

Tu as besoin d’écrire que tu ne te sens pas bien. Tu as besoin d’écrire que tu ne te vois plus, que tu ne sens plus tes membres, que tu passes des heures à fixer des points imaginaires dans la rue et dans le bus en attendant que la tempête qui se déchaîne dans ta tête s'arrête. Tu as besoin d’écrire que tu veux mettre ta vie en pause et te noyer dans une flaque d’eau de pluie, sauter du haut d’un minaret ou avaler d’un coup toutes tes pastilles mentholées. 

Ton cerveau tu ne le sens plus tellement il va vite. Tu ne le vois plus. 

                                                                                                  D’ailleurs tu ne peux pas. 

Ton cerveau est resté figé dans un flou que tu as depuis très longtemps eu la flemme de dépoussiérer. Tu te lèves et prends deux pilules que tu enfonces avec ton index dans ton nez. 

Tu attends que le malaise passe. 

Tu te mets sur ton dos et tu as mal. Tu te mets sur ton ventre et essaies de fermer les yeux. 

Le malaise persiste, doublé cette fois par l’acidité qui se diffuse dans ton pharynx. Tu regrettes d’avoir pris des pilules arôme citron. 

Tu penses à la vendeuse qui avait tellement insisté pour que tu les prennes et à ses rides en forme d’étoiles que tu fixais pendant qu’elle déballait ses posologies et ses pilules. Tu penses au vieillard qui t'a suivie quand tu es sortie de la pharmacie. Celui qui t’as tripoté le dos puis craché par terre. Tu penses à ton fiancé qui t'a quittée quand tu lui as annoncé que tu comptais garder le bébé. A ta mère qui passe ses journées devant le poste de télévision avec pour seul repas des antidépresseurs et des paquets d’amandes grillées. Tu ne te souviens plus de ses yeux ni de son sourire. 

Tu t’endors avec l’image du corps ensanglanté d’un bébé inerte dans la tête.

Tu aspires une ligne blanche. Tu ne fais pas de rêve.


Ton téléphone sonne.                                                                                                                                               L’alarme qui t’indique que tu dois boire de l’eau. 

Tu as mal au crâne et tu n’as toujours rien écrit. Tu sais que tu ne dormiras pas cette nuit. 

Tu ouvres la fenêtre et le frigo. Tu as oublié de faire les courses. Tu les feras demain ou la semaine prochaine. Tu fais un sandwich de restes et le manges sur le lit. Tu te mets ensuite sur ton bureau et sors ton « carnet du voyageur ». Celui qu’un psychiatre t’avait donné quand tu t’es taillée accidentellement une veine. Tu ne l’avais plus revu depuis.   

Ta mère t’avait dit qu’il fallait juste être plus prudente en maniant le couteau.  

Tu écris ce qui te passe par la tête. 

Tu écris que tu n’aimes pas la femme de ménage de tes voisins qui te demande des nouvelles de ton fiancé à chaque fois qu’elle te croise dans les escaliers. 

Tu dessines maladroitement un bonhomme gris puis continue d’écrire. 

Tu écris que tu n’aimes pas les betteraves et les crises de toux de ta mère. 

Tu écris que tu te sens triste et en permanence exténuée. 

Tu écris un vers que tu as lu hier dans un magazine. 

Tu écris que tu aimes les maximes de la Rochefoucauld et le chat de Baudelaire. 


Tu fermes ton carnet et aspire une autre ligne blanche.


Ta tête est moins lourde. 

Tu te lèves et fais les cents pas dans ta chambre. Tu aimes ça. Marcher pour marcher sans destination. 

Tu te regardes dans le miroir tremblant que tu as fait mettre à côté de ton lit. 

Tu ne ressembles à rien. 

Ta tête, tes yeux, tes cheveux, ta poitrine. Tu n’as pas d’âge. Pas de nom. Tes yeux ne sont ni grands ni petits comme tes mains, tes pieds, ta taille. Tu enfiles ta veste sans marque, un jean. Tu hésites entre baskets et mocassins. Tu décides que tu veux porter encore tes Stan Smith fatiguées et que tu as portées tous les jours de cette année et de celle d’avant. Tu descends les escaliers.

Tu te rends compte que tu as oublié ton âme. Tu remontes la prendre. 

Tu ne la trouve pas dans la penderie ni sous le lit. Tu regardes sous le lavabo et derrière le miroir. 

Tu prends des antidépresseurs du paquet que ta mère range dans sa chambre et décide que tu sortiras sans âme ce soir. 

Dans la rue, les gens se bousculent. Des jeunes qui brandissent des pancartes. Tu fermes les yeux et enfonce tes écouteurs dans tes oreilles. Tu ne veux pas les voir, tu ne veux pas savoir. Tu ne veux pas qu’on te touche. Tu marches rapidement. 

Take me down to the paradise city where the grass is green and the girls are pretty (1). 

Tu ouvres les yeux. Tu es dans une allée vide. Tu regardes autour de toi. Une vieille dame urine dans un carton désarticulé. Elle te regarde. Elle sourit en dévoilant deux dents vacillantes. Elle veut un dirham. Elle te veut dans son carton. Tu te retournes. Tu ne veux pas la voir non plus. Tu ne veux pas la regarder. 

One way or another i’m gonna get ya get ya get ya (2). 

Tu continues à marcher. Cette fois-ci, rapidement. Tu penses à ta vie. 

Tu te dis que vie est un bien grand mot. Tu essaies de te rappeler de ce que tu as fait toutes ces années. La poussière floutée refait halte dans ton cerveau. Tu ne vois rien. Tu te dis qu’un jour tu arriveras peut-être à essuyer tout ça. Devant toi une femme sourit en te regardant. Tu baisses les yeux et accélères le pas. Elle te dépasse et se jette dans les bras d’un homme debout derrière. Tu te dis qu’ils ressemblent aux couples qu’on voit dans les publicités de parfums, tu te dis qu’ils doivent être bien heureux. Ton cerveau s'arrête. Tu penses à ton fiancé. Tu te dis qu’ils ne sont peut-être pas si heureux que ça.

Life, it seems, will fade away drifting further, every day (3)

Tu augmentes le volume. 

              Tu ne veux plus entendre tes pensées.

Tu te retrouves à côté d’une gare et tu t’y engouffres. 

Il est 21h. 

Le dernier train part pour Tanger dans quarante minutes. La gare est vide. Tu n’as pas de bagage. 

Tu penses à ton âme. 

Tu te dis que tu aurais dû chercher dans la corbeille de linge sale. 

Ton estomac est retourné, tu veux vomir. Tu cherches les toilettes. On t’indique celles d’une enseigne dont le logo jaune agresse tes pupilles. 

                   Tu préfères vomir dans un pot de fleurs.                                                                                     Tu y vomis tes tripes et craches de la poussière. Tu t'essuies la bouche avec les mains. Tu essuies tes mains sur un mur rêche puis tu sors attendre le train dehors. 

I have lost the will to live simply nothing more to give (3). 

Tu t’assois sur un banc. 

A côté de toi un homme et une femme se tiennent la main. Un vieillard vient prendre le banc face à toi. Il tient un chapelet et te demande un briquet. Tu lui dis que tu ne fumes pas. Il se lève et va traiter la femme de trainée. L’homme qui l’accompagne se lève. Elle le retient. Le vieillard s’éloigne. 

Tu regardes l’horloge devant toi. 

21h28. 

Douze minutes. 

Des étudiants s’approchent. Ils ne te voient pas, tu es invisible. Ils sont ensemble et fument des joints en parlant de filles. 

Deathly loss, this can't be real I cannot stand this hell I feel (3). 

21h35. 

Plus que cinq minutes. 

Ton cerveau s’est figé désormais. Tu n’arrives plus à penser. 

No one but me Can save myself but it's too late Now I can't think (3). 

Tu sors de la poche de ta veste sans marque ton « carnet du voyageur » et tu écris que tu aurais bien aimé manger des amandes avec ta mère en regardant le grand tirage du vendredi avant de partir. Tu ne peux plus, tu n’as plus le temps. Tu ajoutes que c’est peut-être mieux comme ça. 

Tu te lèves. 

Tu te mets près des rails. Le train arrive, tu vois ses lumières. Le train émet un long sifflement. Tu te dis que c’est dommage que ce soit le dernier bruit que tu auras entendu avant ton voyage. Tu décides de refuser ce que tu viens de dire et remets en marche ta musique. 

Death greets me warm Now I will just say goodbye (3). 

Le sifflement du train s’intensifie et te perce les tympans. 

Tu ne réfléchis pas. Tu ne réfléchis pas.

Tu sautes. 

Ton cerveau se tait brusquement. 

Le train roule sur toi sans s’arrêter. Des cris te parviennent. Des cris lointains.

Tu ne ressens rien. Pas de douleur ni de bonheur. Cet état que tu as vécu tout le long de ton existence semble se poursuivre. 

Tu te demandes si ça va durer encore longtemps. 

Un éclair blanc t’aveugle. 

Tu te souviens l’espace d’une seconde du sourire de ta mère, de ton ventre jadis arrondi, d’une caresse chaude sur ta nuque et d’une épaisse couche de poussière qui s’évapore en même temps que ton cerveau.

Et dans ton flou une voix te dit que tu as laissé ton âme dans le frigo à côté des restes.

 

Discographie;

  1. Paradise City, Guns N’ Roses, 1987
  2. One way or Another, Blondie, 1978
  3. Fade to black, Metallica, 1984

 





Romaissaa Abidar :

23h63. Le temps se rompt, s'efface. Les ruelles tremblent et le rythme change. Les maisons flottent et les images filent. Et quand le silence absolu m’enveloppe telle une couche épaisse de cellophane, je prends mon calepin et avec mon stylo je trace ma colère et je dessine mes rêves. On dit que la colère sèche tracée. Je la trace alors et la retrace.  Mes personnages sont des acteurs désargentés, des orties abîmées et des crabes amputés. Mes décors, des fleuves asséchés ou encore des ruelles sombres délabrées. Ici, chaque personnage est une âme et chaque décor est une pensée. Ils sont là pour montrer que la beauté Existe. Et pas seulement dans vos prairies roses argentées.






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