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Amantes sunt amentes

 



Odin n’était rien d’autre qu’un retraité isolé, ni femme ni enfants, seule une multitude de paperasse administrative rythmait ses journées, des mots croisés et une attente frustrante et quasi-existentielle du prochain match de football auquel il se dévouera sans trêve à analyser avec des théories farfelues liant politique et complots.

Sa condition de retraité solitaire était plus qu’un simple stéréotype qu’il subissait, “retraité solitaire”, c’était là où résidait son identité, son essence.

En effet, il s’agit d’Odin Arien, âgé de soixante huit ans, originaire et résident à Casablanca, retraité et célibataire, mutualiste. L’histoire de son sévice remonte à toute une vie. Toute une vie, Odin a bataillé pour être ce qu’il est aux yeux d’autrui; un Homme tout à fait banal, l’homme qu’on peut rencontrer dans la place Mohammed V, en train de nourrir le plus banal des pigeons. Pendant soixante huit ans, le plus anodin des hommes a bataillé pour s’inscrire dans ce cliché éternel du retraité. L’Homme naît seul, notre homme, ici, naît seul et retraité.

Pas la moindre femme qui ne serait pas sa propre génitrice, si ce n’est une: sa muse. Lisa, l’ “in-anodine”, marchait avec une légèreté sans pareille, étudiante en histoire, elle était l’histoire même. Tout était in-anodin chez elle, le temps qu’elle prenait pour bien articuler les mots, pour correctement formuler ses phrases, elle ne discutait que très rarement car elle ne parlait que pour monologuer ou pour raconter la plus anecdotique des histoires sur une certaine bataille du dix-neuvième siècle.

Elle n’était point seulement la muse de notre anodin, elle était la muse de tous ceux qui l’entouraient; sa mère, son épicier et même le narrateur. Ma muse, car elle avait ce je-ne-sais-quoi qui me transcendait; cette ardeur, ce besoin intarissable de se sentir en vie qui me chagrinaient par moments car je l’enviais. Et même les jours où la volonté manquait, lorsqu’elle était tout bonnement exécrable, elle rayonnait, elle rayonnait de tout son être, je préférais un milliard de fois voir Lisa exécrable que de voir le plus misérable des hommes heureux, si cela impliquait le fait seul que je pouvais voir Lisa.

Odin a toujours été retraité sans-emploi comme Lisa a toujours été La muse même détestable.

Leur idylle saugrenue a débuté lorsqu’ils avaient tout juste vingt ans, les deux amants ont commencé à s’aimer dans la foulée, un brusquement et sans crier garde. La chose ne cessait de croître, la légèreté se tassait d’hiver en hiver sous l’impétueuse pluie de Décembre, laissant place à des regards plus tendres qui signèrent d'office la fin de leur amourette et le début de "l'amour, le vrai de chez vrai" comme disait Lisa. 

Aucun d'eux ne dépassait les vingt années mais leur histoire semblait teintée d'un certain fossé générationnel car Lisa était jeune et ivre de liberté pendant que lui était déjà le vieux aigri qu'on évitait à tout prix, leur association était par conséquent relativement supportable par on ne sait quel mécanisme de compensation. C'est comme ça que j'ai connu Odin, il était plutôt sympathique lorsqu'elle l'accompagnait, son aigreur contrastait drôlement avec la douceur de la muse ce qui créait une dynamique étonnamment intéressante. C'est ainsi que je devins le premier ami d'Odin.

Quelques années plus tard, le couple n'était plus, on ne m'a jamais expliqué pourquoi, j'imaginais que cela s'était fait dans la foulée, un peu brusquement, exactement comme ça avait commencé.

Aujourd'hui, Odin parle encore de Lisa aux pigeons de la place Mohammed V. Aujourd'hui, peut-être que je parlerai d'Odin à mes petits enfants puis j'irai me coucher auprès de mon épouse, Lisa.



Ayat Achiq


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